Fin d’un duo légendaire : retour sur une vie de lumière et une mort volontaire qui bouleverse l’Allemagne
Les célèbres sœurs jumelles Alice et Ellen Kessler, figures mythiques du divertissement européen, sont mortes ensemble le 17 novembre 2025, dans leur maison de Grünwald, près de Munich. Âgées de 89 ans, les deux artistes ont eu recours à un suicide assisté, soigneusement préparé et encadré par la Deutsche Gesellschaft für Humanes Sterben (DGHS), une association allemande spécialisée dans l’aide à mourir.
Leur disparition simultanée, après près de sept décennies de carrière commune, a provoqué une onde d’émotion en Allemagne, en Italie et bien au-delà. Retour sur une histoire hors du commun, de la gloire des plateaux de télévision au choix intime et radical d’un départ partagé.
Une carrière symbiotique, construite dès l’enfance
Nées en 1936 à Nerchau, en Saxe, Alice et Ellen Kessler commencent très tôt à danser. Formées en Allemagne de l’Est, elles intègrent avant même leurs 20 ans la troupe du Palladium de Düsseldorf, où leur synchronisation parfaite attire l’attention des réalisateurs de divertissement.
Leur carrière explose dans les années 1950-1960, âge d’or de la télévision européenne. Elles deviennent des vedettes incontestées des variétés, apparaissant dans :
- les grands shows de Peter Alexander,
- les spectacles de Rudi Carrell,
- les émissions de variétés les plus populaires d’Allemagne, d’Italie et de France.
Blondes, élégantes, parfaitement synchrones sur scène, elles incarnent une certaine image du glamour d’après-guerre. Leur duo, souvent comparé aux Dolly Sisters, marque toute une génération.
Dans les années 1970 et 1980, elles participent à d’innombrables tournées, émissions anniversaires et rétrospectives. Leur nom devient un symbole international du music-hall germanophone.
Un lien indéfectible, sur scène comme dans la vie
Tout au long de leur existence, les Kessler ont cultivé une relation fusionnelle. Elles vivaient ensemble, apparaissaient ensemble, décidaient ensemble.
Elles n’ont jamais cessé d’être un duo, même à l’âge où la plupart des artistes se retirent. Dans leurs rarissimes interviews, elles évoquaient leur lien comme “une seule vie à deux voix”.
Cette proximité absolue éclaire la décision qu’elles ont prise : quitter la vie comme elles l’avaient vécue ensemble.
Le cadre légal : le suicide assisté en Allemagne
Depuis 2020, l’aide au suicide est autorisée en Allemagne sous certaines conditions strictes. Le geste final doit être effectué par la personne elle-même, après :
- un avis médical,
- un accompagnement juridique,
- une évaluation de la volonté libre et sans pression.
La DGHS a confirmé que les sœurs avaient entrepris toutes les démarches nécessaires et que “leur décision était réfléchie, préparée et discutée depuis longtemps”.
La police de Munich a rapidement exclu toute intervention extérieure. Le décès a été qualifié de suicide conjoint planifié.
Une préparation précise, un dernier souhait commun
Selon la DGHS, Alice et Ellen avaient exprimé leur désir de :
- mourir le même jour,
- reposer dans une seule urne,
- être placées aux côtés de leur mère et de leur chien, dans leur caveau familial.
Ce choix, profondément symbolique, s’inscrit dans la continuité d’une vie partagée dans toutes ses dimensions : professionnelle, quotidienne, émotionnelle.
Une réaction nationale : entre tristesse et admiration
En Allemagne, où elles étaient aimées et respectées, la nouvelle a suscité un choc mêlé de compréhension.
Des artistes allemands ont salué :
- “une sortie digne et libre” (selon un acteur de la ZDF),
- “la dernière chorégraphie d’un duo éternel” (titre du Süddeutsche Zeitung),
- “une fin à leur image : maîtrisée, élégante, unies”.
D’autres voix soulèvent des questions plus complexes autour :
- du suicide assisté chez les personnes âgées,
- de la solitude malgré la célébrité,
- du choix d’une mort volontaire par deux personnes aussi fusionnelles.
Une histoire qui questionne : la liberté de choisir sa fin
Le choix des sœurs Kessler ouvre de nouveaux débats en Allemagne, où l’aide à mourir reste un sujet sensible.
Leur décision, mûrement réfléchie et conjointe, illustre plusieurs enjeux contemporains :
- la dignité en fin de vie,
- la liberté personnelle vs. la pression extérieure,
- la question du suicide double et du consentement,
- la responsabilité des associations de fin de vie,
- l’éthique du dernier geste partagé.
Dans le cas des Kessler, la DGHS insiste : “Il n’y avait ni détresse médicale sévère, ni pression. Il s’agissait d’un choix personnel, assumé et revendiqué.”
Deux vies, une seule légende
La mort d’Alice et Ellen Kessler marque la fin d’un duo qui aura traversé près d’un siècle de divertissement européen. Elles n’étaient pas seulement des artistes : elles étaient une icône culturelle, un symbole de grâce et de discipline, mais aussi une projection de la reconstruction culturelle d’après-guerre.
Elles ont choisi de quitter la vie comme elles l’avaient vécue : sans jamais se séparer.
Pour beaucoup en Allemagne, ce geste apparaît comme la dernière affirmation de leur unité une décision extrême, mais parfaitement cohérente avec l’histoire de deux femmes qui n’ont jamais supporté l’idée d’être l’une sans l’autre.
Leur départ laisse derrière lui une réflexion profonde sur la liberté, la fin de vie, et la puissance des liens fraternels. Mais il laisse aussi un héritage artistique immense, celui de deux femmes qui ont marqué la culture européenne et gardé, jusqu’à leur dernier souffle, le contrôle absolu de leur destin.


