La mort en détention d’Anicet Ekane, figure emblématique de la gauche camerounaise, réveille les critiques contre un pouvoir déjà fragilisé. Alors que les autorités parlent d’un décès naturel, l’opposition dénonce un drame évitable et réclame une enquête indépendante
Le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), parti d’opposition camerounais, a annoncé ce 1ᵉʳ décembre 2025 la disparition de son président, Anicet Ekane, décédé à l’âge de 74 ans.
Selon le vice-président du parti, l’arrestation d’Ekane remonte au 24 octobre 2025, à Douala. Ce placement en détention coïncidait avec la période précédant la publication des résultats controversés de la présidentielle un scrutin qui a reconduit Paul Biya pour un 8ᵉ mandat.
Après l’arrestation, Ekane avait été transféré à la capitale, Yaoundé, et incarcéré au Secrétariat d’État à la Défense (SED).
Dans la nuit du dimanche 30 novembre au lundi 1ᵉʳ décembre 2025, Anicet Ekane est déclaré mort en détention.
Situation médicale préoccupante et accusations de négligence
D’après le parti et les avocats d’Ekane, sa santé déjà fragile s’est fortement détériorée durant sa détention. Ils dénoncent le refus, par les autorités, de lui accorder un transfert vers un hôpital civil, malgré une demande explicite notamment après un communiqué émis le 30 novembre alertant sur la gravité de son état.
Pire : selon plusieurs sources, son appareil d’oxygénation, indispensable à sa survie, aurait été confisqué dès son arrestation et rendu seulement sous pression, le 27 novembre, soit quelques jours avant sa mort. Certains dénoncent cette confiscation comme un acte « criminel ».
Le régime affirme qu’il recevait des soins « appropriés » au Centre médical de la gendarmerie. Mais pour ses proches, pour beaucoup d’opposants et de défenseurs des droits humains, ces justifications ne suffisent pas : l’absence de prise en charge adéquate en dépit des alertes jette un sérieux doute sur les circonstances du décès.
Contexte politique : un pouvoir contesté et une opposition fragilisée
Le décès d’Anicet Ekane intervient dans un contexte de crise politique aiguë. L’élection présidentielle du 12 octobre 2025 qui a reconduit Paul Biya pour un 8ᵉ mandat a été fortement contestée. Ekane, en tant que leader historique de la gauche nationaliste et soutien affirmé de l’opposant revendiquant la victoire, Issa Tchiroma Bakary, incarnait une des voix les plus visibles du camp contestataire.
Son arrestation, fin octobre, s’inscrivait dans une série de répressions ciblant les opposants. Pour nombre de Camerounais, la détention d’Ekane ne relevait pas d’une procédure judiciaire ordinaire, mais d’une tentative d’intimidation du pouvoir envers toute dissidence.
Réactions, colère populaire et appels à la justice
L’annonce de sa mort a provoqué une onde de choc à travers le pays. Dans les quartiers populaires de Douala, Yaoundé et Bafoussam, certains manifestants ont spontanément exprimé leur colère dénonçant « l’injustice », « l’arbitraire » et un régime qu’ils jugent responsable. Des slogans comme « Justice pour Ekane » ou « Fin du règne sans partage » ont circulé sur les réseaux sociaux et dans certaines manifestations. Plusieurs voix appellent désormais à une enquête indépendante internationale pour faire toute la lumière sur les conditions de sa mort.
Des partis d’opposition, des organisations de défense des droits humains et la diaspora camerounaise demandent des comptes craignant que ce décès ne soit le premier d’une série d’éliminations de dissidents.
Pourquoi ce décès marque un tournant politique ?
-
Parce qu’il illustre de façon tragique la précarité des droits politiques et civils au Cameroun pour ceux qui osent contester l’ordre établi.
- Parce qu’il révèle les conditions parfois dramatiques des détentions d’opposants, même dans un pays signataire de conventions internationales sur les droits humains.
-
Parce qu’il pourrait cristalliser le mécontentement populaire déjà latent, et raviver des mobilisations intérieures et diasporiques pour réclamer changement, justice, et responsabilité.
Au-delà du choc : Anicet Ekane et le mythe d’une démocratie camerounaise
La mort d’Anicet Ekane en détention ne soulève pas seulement une vague d’indignation : elle met en lumière les profondes failles du système politique camerounais. Dans un pays où les institutions sont déjà fragilisées par plus de quatre décennies de pouvoir ininterrompu, ce drame agit comme un révélateur brutal. Le décès d’un opposant politique derrière les barreaux, entouré de zones d’ombre et d’informations contradictoires, renforce l’impression d’un régime où l’arbitraire l’emporte sur la transparence et où la justice semble fonctionner à géométrie variable.
Au-delà du choc émotionnel, la disparition du président du Manidem interroge sur l’état réel de la démocratie au Cameroun. Les contre-pouvoirs y apparaissent affaiblis, les voix dissidentes régulièrement marginalisées, et la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants profondément érodée. Dans les rues, la colère populaire témoigne d’un sentiment partagé : celui de vivre dans un système où la contestation est perçue non comme un droit, mais comme une menace à neutraliser.
Pour beaucoup de Camerounais, ce décès n’est pas un accident isolé, mais le symptôme d’un mal plus vaste : l’absence d’un cadre démocratique solide garantissant la protection des libertés et la responsabilité de l’État. Tant que les circonstances de la mort d’Anicet Ekane ne seront pas élucidées, le doute continuera d’alimenter une fracture politique et sociale déjà profonde. Son nom rejoint ainsi la longue liste de figures dont le destin tragique rappelle que, dans certains pays, la démocratie n’est pas un acquis, mais un combat permanent.
À ce stade, les circonstances exactes du décès restent non élucidées : maladie, négligence, mauvais traitement, ou responsabilité directe n’ont pas été confirmés. Mais le doute, l’indignation et l’exigence de vérité créent un précédent dangereux pour la stabilité politique du pays et pour la confiance des citoyens envers leurs institutions.


